Interview
de Mahmoud Saadi,
responsable politique du mouvement du Jihad islamique
dans la région de Jénine
Mai 2006
Mahmoud Saadi vit
dans la région de Jénine. Plusieurs membres de sa famille ont été assassinés.
Jeune responsable dans le mouvement du Jihad islamique,
mouvement ciblé par la féroce répression de l'armée d'occupation, il est sans
cesse aux aguets. Il est recherché comme tous les autres militants de son
mouvement. S'il a de la "chance", il sera seulement arrêté et condamné
par un tribunal militaire.
CIREPAL : Depuis les
élections législatives et la victoire du Hamas, la situation politique en
Palestine est bouleversée et notamment avec le conflit entre la présidence et
le gouvernement. Vous avez refusé, en tant que mouvement, de participer aux
élections législatives. Quelles sont les raisons de ce refus ? Et comment
considérez-vous la situation actuelle ?
M.S. Concernant les
élections, nous considérons que le conseil législatif palestinien est une
structure des accords d'Oslo. C'est pourquoi nous jugeons que notre
participation à cette structure ne peut modifier la situation concernant nos
droits légitimes. Si nous sommes par exemple en situation minoritaire dans
cette structure, nous devons approuver et suivre la politique de la
majorité. Mais si nous sommes en situation majoritaire, comme l'est le
Hamas aujourd'hui, les problèmes deviennent insurmontables. Que peut faire
actuellement le mouvement Hamas ? Ce n'est pas Hamas qui est responsable de
cette crise, mais Israël. Parce que cet Etat refuse de discuter avec tout
Palestinien. Il a déjà combattu Yasser Arafat, avec la bénédiction des
Etats-Unis. Puis lorsque Abu Mazen est venu, cela a été la même chose, car tout
au long du règne de Mahmoud Abbas, quel pas a fait Israël ? Aucun. Les
assassinats, les arrestations, les invasions se sont poursuivis. Concernant
notre mouvement, nos militants sont assassinés, arrêtés, par centaines, depuis
les accords du Caire. Nos militants ont été arrêtés à Bethlehem, Jénine, Ariha,
Nablus, partout. Même l'Autorité a procédé à l'arrestation de nos membres, à
tel point que nous avons été voir Abu Mazen pour mettre fin à cette situation.
Israël considère le
mouvement Hamas comme un mouvement terroriste, et tous les membres du Hamas
sont pour lui des terroristes. Avec la présence du Hamas dans l'Autorité, c'est
toute l'Autorité qui devient terroriste. Il ne veut pas avoir des contacts avec
quiconque. Même les personnes qu'il avait choisies, acceptées, au début, comme
Yasser Arafat, il n'en a plus voulu comme partenaire. C'est à cause de cette
attitude israélienne que nous jugeons qu'il n'y a rien à faire dans ces
structures mises en place par Israël et que lui-même refuse.
C'est la cause de
notre refus de participer aux élections du conseil législatif.
Actuellement, quels
sont les résultats de ces élections ? Avec la victoire du Hamas, les problèmes
internes sont apparus en surface, et nous assistons tous les jours à des
conflits à Gaza, à Ramallah, entre les diverses forces palestiniennes. Les
forces d'Abu Mazen ne veulent pas accepter les résultats de ces élections, et
Abu Mazen est même allé jusqu'à considérer l'opération martyre menée par notre
mouvement comme un acte vil. Jusque là, les opérations martyres n'avaient
jamais été caractérisées par des termes aussi graves. Il a insulté les
martyrs et les familles des martyrs, en parlant ainsi. Tout cela est dû au fait
que les élections et le recul des forces d'Abu Mazen ont créé une situation
intenable.
Pendant ce temps,
pendant que nos forces se combattent, les Israéliens poursuivent leurs
invasions quotidiennes. Ils arrêtent et assassinent, et nous sommes engagés
dans nos luttes internes. Nous avons eu des élections, nous avons un
gouvernement, un président, un conseil législatif, mais nos mains sont liées,
entièrement.
Et il faut surtout
considérer que dans ce cadre, il ne peut y avoir de paix. C'est un mensonge. Il
n'y a pas non plus d'accalmie. L'ennemi ne nous laisse aucun répit. Depuis que
nous avons accepté l'accalmie, depuis presque un an, ils envahissent et
assassinent : les militants du Hamas, du Jihad islamique, mais aussi les
militants du Fateh. Toutes les formations sont touchées par les arrestations,
et cela de façon programmée. Pour eux, l'accalmie c'est qu'on accepte de se
faire assassiner sans broncher.
Cirepal : Est-ce à
cause de cela que vous reprenez de temps à autre vos opérations militaires ?
M.S. Nous avons
expliqué les raisons qui nous poussent à entreprendre des actions militaires
contre l'occupant. Tous les jours, les forces de l'occupation envahissent nos
terres, nos maisons, nos champs. Tous les jours, elles pénètrent dans nos
maisons et arrêtent nos fils, nos filles, nos soeurs, nos frères, tous les
jours, elles nous humilient dans nos maisons et sur les routes. Les forces de
l'occupation font ce qu'elles veulent. Personne ne les empêche d'agir. Mais
lorsqu'une opération est menée à Tel Aviv ou Khudayra, le monde semble ému.
Pourquoi ? Par nos opérations, nous voulons attirons l'attention du monde et
lui dire qu'une calamité quotidienne et programmée pèse sur nous. Et lui
montrer aussi que nous n'avons pas les moyens de résister. Quels sont nos
moyens ? Des revolvers ? Des fusils ? Ce sont nos moyens en Cisjordanie. Nous
n'avons rien d'autre. Nous utilisons nos corps pour expliquer au monde ce qui
se passe ici, dans notre pays.
Ils parlent de
civils. Par les seuls moyens qui nous restent, comment ne pas toucher les
civils ? Mais les civils palestiniens, n'existent-ils pas ? Des femmes, des
enfants, des vieillards, les malades et les handicapés, ce ne sont pas des
civils ? Tous les jours, les forces de l'ennemi sioniste sont là et commettent
les pires crimes, mais personne ne voit ou n'entend nos civils.
Cirepal : Concernant
les civils, certains affirment que si les opérations visaient plutôt l'armée de
l'occupation ou les colons, comme vos opérations au début de l'Intifada,
l'opinion internationale serait peut-être moins hostile ?
M.S. Nous n'avons pas
les moyens d'agir comme agit un Etat. Au début de l'Intifada, nous avions les
moyens de toucher les bus des militaires, et nous l'avons fait, en privilégiant
les cibles militaires. Mais actuellement, nous sommes encerclés et nous n'avons
pas les moyens d'étudier et de mettre au point des cibles de ce genre. Mais
l'ennemi sioniste, l'Etat super équipé de moyens militaires, ne tue-t-il pas
nos civils ? Puis, nous considérons la société israélienne comme militarisée,
dans son ensemble. Depuis 58 ans, depuis la fondation de cet Etat, sur les
ruines de notre société, la société israélienne est militarisée. Les Israéliens
âgés et moins âgés ont participé et ont commis leurs crimes et leurs
guerres contre notre peuple. Mais il ne faut pas considérer que c'est à
cause de cela que nous menons nos opérations dans les lieux fréquentés.
Mais c'est surtout parce que nous n'avons pas les moyens de mener des actions
militaires ciblées. Que ceux qui critiquent nos opérations, mettant
en avant les civils, qu'ils nous donnent des armes. Que ceux qui nous
critiquent ou nous dénoncent, nous donnent des armes, des chars, des
avions. Et puis, ensuite, qu'ils nous jugent si nous commettons une seule
action touchant des civils. Quand nous aurons des chars face à leurs
chars, des armes aussi puissantes que les armes qui nous tuent, nous saurons
cibler. Aujourd'hui, comme tous les jours, je regarde autour de moi, et
quelle est la situation ? Les soldats sont entrés dans le camp, ils ont
tué, ils ont arrêté des jeunes, ils ont humilié des familles en les faisant
sortir au milieu de la nuit de leurs maisons. Qu'avons-nous à leur opposer
? De vieux fusils. Mais nous les prenons quand même, même en sachant que nous
n'avons aucune chance, nous résistons avec ces armes, car dans tous les
cas, ils nous massacrent, autant leur opposer une résistance.
Au lieu de mourir
dans ma maison, je prends la défense de ma famille et de mon peuple, et
j'organise ma mort. Nous ne pouvons pas protéger nos familles, les
Israéliens rentrent dans nos maisons, comme ils le souhaitent. C'est cela
qu'on nous demande d'accepter ? C'est pour les laisser faire que nous devons
proclamer une accalmie ? Il nous faut oublier nos martyrs, il me faut oublier
mes frères martyrs, les 25 membres de ma famille assassinés ? C'est cela qui
est exigé de nous ?
Cirepal : Que
pouvez-vous nous dire à propos du mouvement du Jihad islamique ? Quels sont ses
fondements ? Quelle a été son évolution ?
M.S. Au début des
années 80, les fondateurs du mouvement, à leur tête le martyr Fathi Shiqaqi,
avaient considéré que sur la scène palestinienne, deux courants principaux
existaient, l'un proclamant le jidah, la lutte contre l'ennemi sioniste et
l'autre, proclamant l'Islam. Les fondateurs ont considéré qu'il fallait un
mouvement capable de porter les deux traditions : la lutte pour la Palestine,
contre l'ennemi sioniste et la lutte pour l'Islam. C'est ainsi que le mouvement
du Jihad islamique est né. Il s'est rapidement développé en mettant en avant la
lutte pour les aspirations de notre peuple, dans les territoires occupés et
dans l'exil. Il fallait mener la lutte contre l'occupation qui a spolié notre
terre, et qui nous a expulsés. C'est dans la lutte contre l'occupation que le
mouvement s'est largement développé. Des actions exemplaires ont été menées
avant la première Intifada contre les forces militaires de l'occupation, et
quelques mois avant le déclenchement de la première Intifada, des combattants
du Jihad ont réussi à s'enfuir de prison. Nos opérations de qualité ont permis
de redonner confiance à notre peuple et à lui montrer la voie de la lutte. Et
dès le début de la première Intifada, notre mouvement fut férocément poursuivi
et réprimé par les forces de l'ennemi sioniste. Les années 87 et 88 furent
terribles. Plus tard, nous nous sommes relevés et avons développé nos actions.
Comme toutes les
organisations de la résistance, nous avons subi des coups durs, mais nous nous
sommes relevés. C'est la nature de notre résistance.
Cirepal : Les
nombreuses campagnes d'arrestations des militants du mouvement n'ont-elles pas
limité la formation des cadres ?
M.S. Il est vrai que
la féroce répression, les assassinats et les arrestations de nos dirigeants ont
eu un impact. Mais la prison est un lieu de formation. Lorsque j'ai été arrêté
pour la première fois et emprisonné, je me suis formé. J'ai étudié, j'ai
réfléchi. Nous étions nombreux à avoir été arrêtés ces dernières années et nous
avons été libérés récemment. Nous avons beaucoup appris en détention. Nous
avons étudié la situation, nous sommes au courant de tout ce qui se déroule sur
le terrain et dans le monde. A notre sortie de prison, nous avons commencé à
organiser les gens autour de nous. Il faut savoir que plusieurs de nos
dirigeants sont en prison.
Ce sont les
conditions actuelles, un pays sous occupation. Nous nous organisons et agissons
en fonction de cette situation.
Cirepal
: une partie de la direction du mouvement du Jihad est à l'extérieur de la
Palestine. Est-ce que cela a-t-il une influence sur votre décision ? Des
décisions sont-elles prises à l'extérieur ? Si oui, ont-elles des
répercussions, positives ou négatives, sur le mouvement à l'intérieur ?
M.S. Les décisions
prises ne viennent pas de l'extérieur. Nous avons, entre la direction à
l'extérieur et celle de l'intérieur, des consultations permanentes (la shura).
Toute décision est discutée et élaborée en commun. Avec tout le respect que
nous portons pour notre direction de l'extérieur, nous avons également, nous
qui sommes sur le terrain, notre opinion et mot à dire. De plus, le fait qu'une
partie de la direction soit à l'extérieur ne la coupe pas de la situation à
l'intérieur. Nous avons de nombreux dirigeants en prison, aussi, mais nous
avons des décisions communes. Les discussions et consultations sont régulières
et permanentes. Il n'y a pas de décision prise uniquement par l'extérieur ou
par l'intérieur. Nous, à l'intérieur, notre point de vue est très important.
Les dirigeants à
l'extérieur ont davantage de possibilité de s'exprimer, de bouger,
d'entreprendre des contacts. Ici, sous occupation, nous ne pouvons pas par
exemple organiser des conférences de presse, nous ne pouvons pas contacter les
médias, à tout moment. Nous vivons, à certains moments, dans une
semi-clandestinité car nous pouvons être arrêtés à tout moment. Ceux qui sont à
l'extérieur, par contre, peuvent s'exprimer plus librement, mais eux aussi sont
visés par le Mossad.
Parfois, cependant,
il peut y avoir de légères différences d'appréciation d'une situation donnée,
mais cela reste très limité, et n'a pas une importance décisive.
Cirepal : Quelle est
la position du Jihad islamique au sujet de l'OLP ? Pensez-vous, comme certains,
que l'OLP est actuellement utilisée par l'Autorité de M. Abbas pour mettre des
bâtons dans les roues du gouvernement dirigé par le mouvement Hamas ? Quelles
sont vos conditions pour faire partie de l'OLP ?
M.S. Nous sommes en
situation d'occupation : la terre a été spoliée, des millions de réfugiés
attendent leur retour au pays. Il ne faut pas que l'OLP soit un organisme qui
gère les territoires occupés au profit de l'occupant. Il est nécessaire que les
forces politiques s'entendent pour élaborer un programme de lutte pour la
libération.
Cirepal : le Fateh
dirigé par Abu Mazen a rattaché l'OLP à l'Autorité palestinienne. De votre
côté, pensez-vous qu'elle doit être un organisme indépendant ?
M.S. Les responsables
de l'Autorité se sont accaparés l'OLP car ils ont, suite aux élections, perdu
le gouvernement. Ils essaient d'agiter l'OLP contre le gouvernement.
Actuellement, ils essaient de donner toutes les prérogatives à Abu Mazen alors
qu'avant, ils ont tout fait pour donner les prérogatives au chef du
gouvernement précédent au temps du président Arafat, qui était aussi Abu Mazen.
Avant, ils luttaient pour que toutes les prérogatives soient entre les mains du premier
ministre, maintenant, ils veulent tout arracher du premier ministre. Les choses
sont claires pour le peuple, tout le monde comprend ce qui se passe et la
signification de ces luttes internes. Ils ont été surpris par la victoire du
Hamas aux élections législatives car ceux qui ont voté pour le Hamas dépassent
largement l'audience acquise du Hamas. Mais c'est ainsi. Les gens voulaient
changer de direction, changer d'équipe, en finir avec la corruption, avec le
pouvoir personnel de quelques-uns.
Concernant l'OLP, il
faut reformuler une nouvelle charte, tout comme doit être recomposé le conseil
national palestinien, par des élections. Toutes les formations politiques
palestiniennes doivent se mettre d'accord sur les modalités de recomposition de
l'OLP et de ses institutions. Pour le mouvement du Jihad islamique, l'OLP doit
représenter l'ensemble du peuple palestinien, les réfugiés comme les
Palestiniens de 48. L'essentiel est que l'OLP puisse faire avancer la lutte
contre l'occupation, pour que notre peuple vive dignement, sur sa terre,
débarrassé de toutes les humiliations.
Cirepal : S'il vous
est demandé d'accepter une accalmie, dans la situation actuelle, quelle sera
votre réponse ?
M.S. Sur les principes
d'une accalmie, nous ne sommes pas contre, mais il nous faut regarder les faits
tels qu'ils sont sur le terrain. Je peux déclarer une trêve, affirmer que je
n'organise aucune opération militaire contre l'ennemi sioniste. Mais en face,
acceptent-t-ils la trêve que je proclame ? Ce que nous faisons, c'est que nous
proclamons des accalmies ou trêves unilatérales. Nous arrêtons nos opérations,
mais l'ennemi sioniste poursuit son invasion, assassine, arrête. Nous acceptons
une trêve, mais il faut qu'elle soit acceptée par l'autre bord aussi.
Cirepal :
C'est-à-dire une trêve sous occupation, ou malgré l'occupation ?
M.S. Si les sionistes
cessent leurs invasions, leurs agressions, leurs assassinats, oui. Nous pouvons
accepter une trêve pour des mois ou des années. Elle nous permettra d'ordonner
notre situation intérieure. Nous souhaitons vivement que notre peuple puisse
reprendre ses forces, et vivre une vie plus ou moins normale, mais c'est
l'ennemi qui ne le souhaite pas. C'est lui qui refuse la trêve. Tout au long de
la période qui a suivi les accords du Caire, il a poursuivi ses assassinats et
ses arrestations. Finalement, que nous soyions ou non en trêve, lui, il
poursuit ses agressions. C'est sur Israël qu'il faut faire pression pour qu'il
admette le principe d'une trêve ou d'une accalmie.
Cirepal : le Jihad
islamique a souvent joué le rôle de médiateur lors de conflits entre les
formations palestiniennes, et notamment entre le Fateh et le Hamas. Quel rôle
pouvez-vous jouer actuellement pour empêcher l'explosion de la situation
intérieure ?
M.S.
Nous avons toujours affirmé que notre unité est importante, que nous devons tout
faire pour éviter les luttes internes. Nous avons fait des efforts dans ce
sens, entre le Fateh et le Hamas, et entre les diverses organisations, en
partant du principe que nos luttes internes servent l'ennemi sioniste, avant
tout, et que nos mouvements doivent diriger leur lutte contre l'occupation et
pour la libération de notre patrie. Si le Fateh ou le Hamas sont affaiblis, qui
en profite ? Notre ennemi, c'est évident.
Actuellement, la
situation est très tendue dans la bande de Gaza, plus qu'en Cisjordanie, pour
plusieurs raisons : l'espace restreint, la surpopulation et les problèmes
sociaux (pas de travail surtout), et le blocus exercé par les forces de
l'occupation. En Cisjordanie, les relations dans les villes, les camps et les
villages restent plus aisés, et malgré l'occupation, la tension est moins vive.
De plus, en Cisjordanie, nous faisons quotidiennement face aux invasions et aux
humiliations, ce qui, non seulement limite les tensions entre nous, mais nous
rapproche.
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